Ce soir-là je me serai cru dans un conte de fées bien connu.
Avec ou Cendrillon. Au choix.
C’était un soir d’hiver, la nuit se posant à l’heure de « Questions pour un Champion » – d’ailleurs, ça existe toujours ? –
Je rentrai chez moi.
Rue Tournefort. – Et non « tourne fort » : j’ai dit « Questions pour un Champion », pas la « Roue de la Fortune » –
Et là, soudainement, j’en ai vu une. Amusé.
Mais j’ai trouvé ça étrange.
Elle gisait dans le caniveau, sur le dos.
Le pied en l’air.
Je me suis approché, j’étais moins amusé.
Elle m’a fait de la peine.
Je me suis dit « mince ».
Seule, sans sa moitié. Un peu comme un couple qui aurait perdu son autre.
Une peu comme elle il y a presque un an à la même date.
Pourtant, elle était belle, très belle. Fraîche.
Mais pourquoi donc était-elle là ?
Abandonnée.
Délaissée.
Seule.
Jetée ? Non…
Et pourtant si.
Alors j’ai levé la tête. Regardé au loin.
Et puis j’en ai vu une autre.
Mais pas de la même famille. Une autre quoi.
Et seule aussi.
Elle, plutôt d’été bizarrement. Mais que faisait-elle ici aussi ? Seule en plein froid ?
Toute retournée.
Toute belle, elle aussi comme si elle n’avait jamais connu pied à sa chaussure.
Encore toute propre.
Celle-ci, elle me regardait, me fixait.
Peut-être n’attendait-elle qu’une chose : que je m’approche davantage pour mieux la voir.
Que je la prenne? Non, je n’aurai pas osé.
Je suis vraiment étonné.
Oui : j’en vois deux, à terre, allongées sur le caniveau.
Jusqu’au moment où j’en aperçois une troisième.
Trois ! A moins de 15 mètres les unes des autres, le même soir, au même endroit.
Cet instant est unique : je dois l’immortaliser.
Alors je remonte chez moi. Monte les marches quatre à quatre.
Je prends mon appareil photo. Et redescends aussitôt.
Je n’ai qu’une peur : qu’elles se soient envolées.
J’ouvre la porte d’entrée – ou de sortie plutôt si vous préférez – et regarde avec hâte à droite puis à gauche, tout en allumant mon appareil.
Ouf ! Elles sont toujours là. Joie. Bonheur.
Je crois que je me suis rarement autant appliqué pour prendre une photo. Deux. Et même trois.
Oui, je suis très mauvais en portraits, et encore plus en basses lumières.
Il faut reconnaître – pour ma défense – que je n’ai pas un appareil dédié à la photo.
Alors je les ai prises. En photo. L’une après l’autre.
Sans bouger. Sans les toucher. Sans trop les approcher.
Autour de moi, les badauds me regardaient.
Mais que fait-il ? Pourquoi les prend-il en photo ?
Connaît-il leur histoire ? Pourquoi les laisse-t-il ici ?
Est-ce à cause de lui si elles sont là?
Pourquoi ne s’en approche-t-il pas ?
Peut-être passai-je pour un pervers ? Non quand même pas voyons!
Je regardais les photos que j’avais prises.
Je les voulais nettes, les photos.
Et je me suis retourné.
Et je suis tombé sur une quatrième.
Brillante.
Fraîche.
Trop, sans doute.
Mais que s’est-il passé pour qu’elles gisent ici ? Toutes.
Quelqu’un s’en est séparé.
Quelqu’un? Ou quelqu’une?
Comme on jetterait une vieille chaussette ?
Une erreur ? Sans doute.
Ou un acte inconscient ?
Pire, un acte de colère ?
J’ai remonté toute la rue pour voir si il y en avait d’autres. Mais non.
Je m’attendais à en trouver plein d’autres, les unes sur les autres plus loin.
Alors j’ai levé la tête, regardé dans les étages, pour débusquer un éventuel amant colérique au bord de la fenêtre. Mais non, personne.
Autour de moi, les gens passent, et les ignorent.
Comme des SDF allongés par terre.
Comme une pièce de dix centimes par terre dans le Ve.
Je suis alors le seul à trouver ça insolite ?
De les voir là ?
Elles.
Ces chaussures, neuves, abandonnées dans la rue.
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