Oui, c’est un écrivain

6 octobre 2018 / Mots de Menilmonde / 0 Comments /
(j'ai zappé les 2 derniers chiffres pour l'anonymat)

(j’ai zappé les 2 derniers chiffres pour l’anonymat)

 

« Écrivain cherche une chambre dans le quartier »

Voici une annonce qu’on rencontre dans les beaux quartiers.
Je flânais justement non loin de l’Odéon.
Dans le Paris des éditeurs.
Celui-ci où ces gens viennent échanger quelques mots autour d’un verre.
Sur ces fauteuils de ces bistrots qui ont accueilli les plus belles lettres.
Eux, L, qui y ont posé leur plus beau Q.
Des combats de mots mais toujours sans N.
S’exclamant de A et de O spontanés et enthousiastes.
Toujours à négocier des droits d’auteurs sans jamais ne rien C D.
Où parfois quelques grammes de H les aide à trouver la P .
 

Je regarde toujours les petites annonces accrochées aux murs de Paris. Tant que je peux bien sûr.
Et celle-ci, je l’ai trouvée belle.
Soignée.
C’est pas tous les jours qu’un écrivain laisse une annonce.
Et il s’est distingué par son écriture que je devine à la plume.
Raffinée.
Et il ne propose que deux morceaux de papier avec son téléphone : il semble sûr de lui.
Sans doute devine-t-il que louer une chambre à un écrivain plutôt qu’un étudiant semble gage d’assurance.
Il est habile.
 

Écrivain…
Me vient tout de suite à l’esprit cet homme, ou cette femme, qui pondrait des lignes de mots aussi vite qu’une livraison d’Amazon – écrit le « postier ».
Cheveux ébouriffés, grillant cigarette sur cigarette, dans son bureau, fenêtres ouvertes donnant sur les Alpilles, sirotant sa citronnade (oui il serait encore 10h du matin, encore trop tôt pour attaquer son scotch des Lowlands voyons !).
Encore tout(e) excité(e) de ses idées survenues la veille au cours d’une cueillette de Myrtilles pour présenter la bipolarité de son héros cul-de-jatte lunatique trafiquant émérite de fenouil bio d’Ouzbékistan.
Il s’en fout, il a une plume d’or : tout ce qui sort de ses doigts envoûte. Il pourrait même faire de la base de loisirs de Créteil Soleil le nouveau lieu hype où déferleraient des centaines de bus de chinois venus voir le lieu de l’intrigue de son nouveau best-seller.
Bien sûr, les murs de son mas de Provence seraient faits de livres, de fondations d’encyclopédies, matière première de l’artisan des mots. L’haleine de vers du poète est sa couverture pour l’hiver.
Il serait brillant. Reconnu. Récompensé. Awardé. Célèbre.
Et cette chambre ?
Paris lui manquerait. Il aurait envie de louer une chambre. Pour le personnage de son nouveau roman. Besoin de s’immerger.
Il a déjà un appartement à Paris, mais il veut une chambre. Un nouveau lieu, inconnu, une nouvelle histoire, de nouveaux voisins.
 

Écrivain…
Il pourrait être cet écrivain qu’on retrouve dans les films, les livres. Vous savez, celui qui passe ses journées à écrire, excité par ses idées – dont il serait aussi le seul d’ailleurs – et qui reste finalement un écrivain looser, édité une seule fois, il y a 25 ans à Paris, rue du Cherche-Midi, sur un malentendu, oú il n’aurait pas pu d’ailleurs négocier ses droits d’auteurs. Alors certes, il a écrit un livre, il est écrivain, mais il s’auto-édite depuis. Il se sent incompris. L’injustice le ronge. Il est aigri.
Il peine à boucler ses fins de mois. Et ses faims de mois oui.
Il vit à Saint-Just en Chaussée, sous le ciel gris de l’Oise : la bruine incessante lui permet d’économiser l’eau pour arroser son jardin.
Oui, il a un jardin et il est d’ailleurs auto-suffisant, sa plus grande richesse d’ailleurs, et sa seconde passion.
Et cette chambre ?
Il veut retrouver les joies de l’édition parisienne. Celle-là même qui l’a amenée rue du Cherche-Midi il y a 25 ans. Il est certain que cette nostalgie lui permettrait de retrouver une nouvelle inspiration.
Il est borné, et il sait qu’il peut réussir, il croît toujours en lui : c’est une de ses plus belles forces, avec son envie perpétuelle et amoureuse d’écrire.
 

Écrivain…
Il est mythomane.
Oui oui : en fait il n’est pas écrivain, il se la raconte. Juste.
Il laisse son numéro sur toutes les gouttières des rues de Paris.
Oui mais voilà : vous ne savez pas que c’est un mytho, lui seul le sait. Et puis vous, quelques jours après, une fois qu’il vous aura bien baisé eu.
Ah ça oui, ce profil, il y en a quelques-uns. Ils sont habiles. Ils séduisent.
Ils savent.
D’ailleurs, s’ils savaient écrire, ils pourraient l’être. Écrivains. Tellement d’histoires rocambolesques, dures et moins dures à raconter.
Alors il vous raconte sa fausse histoire à lui, qui est plutôt celle du premier type. Vous savez, celui qui parle du fenouil bio d’Ouzbékistan.
 

Écrivain…
En fait, il raconte des histoires.
Des petites histoires. Mais lui, il lui faut de la consistance.
Il se sert de ses petites annonces comme une toile d’araignée. Un peu comme le mytho d’avant, mais lui, il écrit.
Oui, c’est très tordu, mais ça peut se tenir : ici, il ne recherche pas de chambre à louer, il cherche juste à ce que des inconnus l’appellent, lui racontent leur proposition et s’en inspire pour ses futurs écrits. C’est juste une source d’inspiration.
Il sait aussi que des personnes curieuses (dont je ne citerai de nom…) peuvent le contacter pour savoir quel genre d’écrivain peut se cacher derrière une telle annonce.
Car il a l’habitude le petit malin : il ne laisse pas que cette annonce, il en met d’autres partout dans Paris.
Il en a mis d’ailleurs une autre dans le métro là, celle-ci en dessous:

(j’ai aussi zappé les 2 derniers chiffres pour l’anonymat – mais si vous le voulez, je vous le file, comme il est public ;-)

 

Ecrits vains…
De ses écrits vains il se dit écrivain.
Cela dit, il n’a pas tort.
Pourquoi ne pourrait-on pas se qualifier d’écrivain à partir du moment où on aime écrire ?
« Ecrivain » serait-il juste l’attribut d’un métier ? Non.
Il écrit donc en vain. Depuis 20 ans maintenant.
Il est tombé amoureux à la faculté. En FLE. Français Langue Etrangère.
De Mirabelle. Oui, elle s’appelait Mirabelle.
Lui, c’est Bruno. Bruno d’Agen.
Leur amour dura 2 ans.
Mais pour lui, leur amour dure toujours.
Sa Mirabelle est toujours mûre, son fruit d’amour.
Et il lui écrit toujours. Chaque 11 du mois, car ils se sont rencontrés un 11 novembre. Mais pas à 11h11. Ni en 2011. C’était en 1997.
Chaque onze du mois, il lui écrit des vers.
Et jamais. Jamais elle ne répond.
Mais il s’en fiche, il aime lui écrire. Il n’a jamais de retour de La Poste :il sait qu’elle lit ses vers.
Sévère. Oui, c’est sévère, non ?
 

Ecrivain.
On m’avait soumis une idée aussi.
On imaginerait un homme d’un autre temps.
A belle moustache. Propre sur lui.
A la démarche élégante. Sans doute encannée aujourd’hui.
Chaussé de souliers.
Habillé de tailleurs anglais.
Qui a vécu à l’époque où tout ne se passait pas par agence immobilière.
Qui a encore espoir qu’à Paris il existe encore des gens comme lui, en dehors de la frénésie de consommation. Croyant encore en l’homme et au heureux hasard.
Alors j’imagine aussi qu’il vit avec sa dame. Loin de Paris.
Tout comme lui, élégante, encannée. Toujours coiffée. D’une coiffe. Une vraie coiffe.
Ils se sont arrêtés en 1967.
L’année de leur mariage, leur plus belle année.
Ils vivent comme en 1967. C’est une règle.
Et il écrit, toujours à la main. A la plume.
Alors oui, ses livres, il les fait réécrire à l’ordinateur. Il ne sait pas ce qu’est un ordinateur.
Le Ouaib ? Il ne connait. Ils ne connaissent pas.
Et pourtant. Ses livres se téléchargent sur le Ouaib. Aussi.
Anselme.
Anselme, il cherche une chambre dans le quartier.
Pour se souvenir. Se remémorer.
Car c’est en 1964 qu’il a rencontré Maryse, dans le quartier. A l’Odéon.
Anselme, il sait que les souvenirs sont ce qu’il y a de plus précieux dans une vie.
 

Ecrivain.
Ecrivains plutôt : il en reste encore plein. Plein d’hypothèses.
 

Et puis finalement, j’ai voulu jouer le curieux.
Plutôt que d’inventer, j’ai voulu en connaître davantage sur cet écrivain.
Non, je ne l’ai pas appelé, car ça m’a semblé trop intrusif.
Mais je lui ai envoyé ce SMS :
 
Bonjour, je suis tombé sur votre annonce à Odéon, et j’ai l’ai trouvée très jolie, d’autant plus qu’elle semble avoir été écrite à la plume.
Je n’ai pas de chambre à vous proposer, mais je vous contacte car je tiens un site /blog dans lequel je raconte – entre-autre – des histoires parfois issues de ce que je vois/croise dans la rue.
Avec votre annonce, j’aimerai raconter une jolie histoire où je vous inventerai une histoire à partir de votre recherche et de votre métier d’écrivain.
Mais à l’issue de cette histoire, j’aimerai que le réel prenne le dessus : divulguer quelques informations générales (anonymes bien sûr) à votre propos, j’aimerai donc en connaître davantage sur vous et votre métier d’écrivain, et la raison pour laquelle vous recherchez cette chambre, et précisément dans ce quartier – d’éditeurs d’ailleurs.
Ne prenez pas ce message comme une forme d’intrusion mais plus dans un but d’une recherche insolite!
Vous pouvez jeter un coup d’oeil à mon site : www.menilmonde.com
Vous pouvez me joindre aussi par mail si vous préféreriez : maxime———@yahoo.com
(Je ne suis pas journaliste et mon site est strictement personnel)

J’espère avoir de vos news.
Maxime
 
Notez que je prends des pincettes, car je tenais absolument à ce qu’il me réponde.
Et il m’a répondu.
Avec brio:
 
Bjr. Monsieur !
Ecrire n’est pas une profession. C’est un acte de conscience sociale.
C’est un acte d’amour à une cause …
Si ce n’est pas avec cette démarche, … ce ne sont que des lignes…
Voici mon blog : pour son anonymat j’ai supprimé le lien de son blog ( Galo L ) .
Sincerely,
 

Et sur son blog, il écrit pour une cause.
J’ai trouvé sa réponse juste, très simple et tellement belle.
De la poésie dans un SMS, comme on n’en reçoit plus.
 
Oui, c’est un écrivain.
 
 



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